jeudi 15 mars 2012

Des nouvelles de la Réunion : entretien avec Ti gout do l'o

Entretien avec Marie Bigot, tiré du journal grec DROMOS

Question 1 : Présentation

Petite goutte d'eau est un groupe de citoyens de Saint-Pierre, 3ème commune la plus peuplée (environ 76 000 habitants) au sud de l'île. Depuis plus de trois semaines, chaque soir des personnes de tous âges, de toutes catégories sociales se retrouvent. Pourquoi ? Le mot d'ordre est la vie chère, mais c'est aussi l'occasion de mettre à jour le dysfonctionnement de notre société et le ras-le-bol général. A travers les prises de parole, les histoires individuelles ou collectives redisent la même chose : comment survivre dans un département français avec 425 € de retraite ? Où 52% de la population réunionnaise (400.000 personnes) vit en dessous du seuil de pauvreté national, soit 817 euros mensuels (contre 13% de la population en France)[1]. « Si la population pauvre rassemble essentiellement des bénéficiaires de minima sociaux, elle comprend aussi un tiers de personnes en emploi. Les enfants sont les plus touchés par la pauvreté (144 000).» Comment continuer à vivre ensemble sur cette île de 2500 km2 lorsque la violence économique, politique et institutionnelle ravage notre territoire ? Quel avenir trace-t-on pour nos enfants ?

 A côté des  150 000 salariés du public et du privé  que compte  l'île,  180 000 Réunionnais sont exclus de la société (91 250 foyers au RSA, 102 000 chômeurs officiellement recensés sur une population active de 340 000 ) 60 % des 16-25 ans sont au chômage (les 15-34 ans représentent 30 % de la population totale) 120 000 Réunionnais sont illettrés ; le  suicide est une des première cause de mortalité  entre 15 et 44 ans (21% des décès chez les 25- 34 ans derrière les accidents, 30%)

En parallèle, si l’île se classe dans les premiers rangs des départements français à compter le plus grand nombre de bénéficiaires du RSA (revenu de solidarité active, elle compte plus de deux milliers de foyers plus riches que riches (assujettis à l'Impôt de solidarité sur la fortune. )

Une autre catégorie de la population est privilégiée : les fonctionnaires bénéficient de l'indexation de vie chère et de diverses primes ( 56% ) sur leur salaire  et cette inégalité doit être réduite. La vie est chère pour tous les réunionnais pas seulement pour les fonctionnaires.

Depuis 3 siècles, La Réunion est une terre de migrations forcées pour les besoins d'un marché solvable en Europe. Le peuplement s'est constitué par des immigrations successives de populations venues d'Afrique, de Madagascar, de l'Inde, de la Chine de l'Europe qui ont  appris à vivre ensemble. La créolisation a permis de tisser une culture commune, des valeurs partagées, une langue, une façon d'être au monde. Aujourd'hui l'île doit faire face à une immigration « métropolitaine » en augmentation et voit sa structure démographique modifiée en profondeur à cause de ces migrations, qui interagissent avec l'activité économique. Sur une période de 30 ans 80 000 zorèy[2]  se sont installés durablement, pendant que sur la même période 200 000 Réunionnais ont quitté leur île .120 000 Réunionnais exilés. Solde migratoire négatif.
Paris et les dirigeants locaux ne cessent de lancer aux jeunes Réunionnais des « Vive la mobilité » «  Engagez-vous » « Partez au Québec, en Europe, ... Vous êtes trop nombreux sur cette île, le chômage vous guette ». Mais nous savons qu'ils mentent.

Les zorèy sont plus diplômés et le taux d'emploi est élevé : 76% des zorèy de 20 à 59 ans sont sur le marché de l'emploi, contre 59,2% de l'ensemble de la population. . Ces travailleurs zorèy sont "surreprésentés parmi les cadres, professions intermédiaires, commerçants et chefs d'entreprise". Ils sont par contre "sous-représentés parmi les agriculteurs, les ouvriers et les employés. Ils ont plus facilement accès à la propriété vu le prix du foncier et aiment bien se regrouper  sur le littoral ensoleillé en «zorèyland.» Bon nombre sont de passage et s'acceptent comme privilégiés, confirmant en cercle « l'assistanat, la paresse, tellement méprisable des créoles ... »



145 000 foyers bénéficient d'un revenu inférieur au smic. Tous les réunionnais  doivent se rendre dans les mêmes supermarchés pour acheter des produits 55% plus chers que dans la «métropole ». L'île doit importer et exporter à son principal fournisseur et client « la France métropolitaine » les produits de l’industrie alimentaires (592 millions d’euros) devant l’automobile (467 millions d’euros). « La métropole » est le principal partenaire commercial de la Réunion à 58%. Nous ne produisons même pas notre sel, cette marchandise, comme d'autres,  effectuent  un voyage de 13 000 km et leur aller-retour doivent être payés. Nous n'acceptons plus cette politique économique qui relève d'un système colonial.

Les produits importés sont aussi taxés par l'octroi de mer, vieille taxe coloniale,  droit de douane en pleine Union Européenne. Cette taxe est censée protéger les productions locales mais frappe également les biens produits à la Réunion (depuis 1984). Le sucre de nos champs de canne est vendu plus cher ici qu'en France. Ti goute dolo demande la suppression de cette taxe que le consommateur réunionnais doit payer en plus des marges abusives de la grande distribution. Cette taxe sert en fait à financer les collectivités locales mais « il est impossible d’apprécier l’efficacité de la stratégie de développement dans laquelle le dispositif de l’octroi de mer est tenu, selon le législateur, de s’insérer, afin de contribuer à la promotion de l’industrie locale »[3] et au  développement et à l’emploi (FRDE). Cet outil de gestion et d’analyse de l’effet économique du dispositif n'existe pas. A quoi sert cet impôt indirect ? Bon nombre d'élus locaux sont régulièrement épinglés par la Cour des Comptes pour leur mauvaise gestion des finances publiques.Gaspillage. « Zélu néna gran min, nou la pa bezoin.[4] »


La liste est longue.

Où est la justice dans ce département français d'outre-mer ? La France, « la métropole » a mis en place depuis 1946 date de la départementalisation de l''île, un système d'exploitation de son ancienne colonie où les circuits financiers transforment l'argent public en profits privés pour quelques grands capitalistes réunionnais ou métropolitains. Certaines grandes familles se sont enrichis dès l'époque de l'esclavage et alimentent toujours les rouages de la mondialisation capitaliste. Ils ne sont plus grands industriels du sucre, mais armateurs, PDG de Holdings, prospèrent toujours plus grâce à la spéculation foncière, puisque maîtres depuis 300 ans des terres spoliées à une partie de l'humanité, considérés alors comme des animaux. A l'abolition de l'esclavage en 1848, les maîtres devenus des « victimes » ont été indemnisés, ils restent les seuls propriétaires fonciers, et des capitalistes, propriétaires des moyens de production. Les affranchis n'ont pas même un lopin de terres pour subsister.
Aujourd'hui les maîtres du jour se permettent de sanctionner et de priver des milliers de réunionnais de leur droit à l'emploi, à l'éducation, à la dignité. Il n'est plus question de femmes et d'hommes capturés par des négriers, mais de leurs descendants qui doivent payer l'histoire de développement écrite par les dominants. « Etrange modernité qui avance à reculons. »

Nous sommes coupés de notre environnement géographique, l'espace océan Indien  : La Réunion a des liens historiques, culturels, avec Madagascar, les autres îles de l'océan Indien, et la côte est de l'Afrique. Les relations économiques sont inexistantes. Le développement durable n'est pas réservé à une partie du monde, le Sud que nous sommes, conscient de notre passé n'a pas à mendier les miettes de ces preneurs d'otages qui transforment le monde en marchandise et affame la planète. Les plus grandes unités à pêcher dans l'océan Indien, sont les thoniers-senneurs-congélateurs européens. L’immense majorité des captures  (97 %) effectuées  est le fait de pays non riverains. Nous retrouvons à La Réunion ces boîtes de conserves de thons dans les supermarchés des profiteurs et nos voisins sont spoliés : selon le Groupe de travail en haute mer (HSTF, sigle en anglais) plus de huit cent bateaux de pêche puisent chaque année dans les eaux somaliennes des fruits de mer et des poissons pour une valeur globale de 450 millions de dollars. La souveraineté alimentaire est un droit universel des peuples. Dans l'océan Indien,  les grandes puissances envoient leur marine militaire pour y  assurer « la sécurité du commerce international ». A la Réunion, cette présence militaire s'opère avec l'envoi des forces de gendarmerie pour dissuader « les mauvaises graines.»


question 2 : l'étincelle qui a mis le feu à la société ? Tout a commencé avec la protestation des transporteurs qui réclamaient une baisse de 25 cents à la pompe.
Le blocage des transporteurs de l'unique site de stockage de carburants, au Port, le 21 février et l'appel de leur leader à la population pour les rejoindre sur le site avec comme mot d'ordre la baisse des carburants pour tous et le coût de la vie, a mis en route les événements. Les tractations de ce même leader avec le préfet et le volte face opéré par le transporteur levant les barrages et filant sans plus attendre devant une foule médusée, un peu plus tard dans la soirée, constituent le détonateur. Les émeutes éclatent  à Saint-Denis, au Chaudron, et au Port. Le scénario est connu : revendication corporatiste, blocage des routes, appel démagogique et au final des violences urbaines qui mettent à jour la structure inégalitaire de la société réunionnaise.
Les collectivités devront 90 % du financement de ces mesures !!!  (en abandonnant leur part d'octroi de mer sur les carburants). Où sont les pétroliers ?
Rien n'est acté au 7 mars, plusieurs maires s'inquiètent de voir disparaitre une manne financière importante pour le budget de fonctionnement de leurs communes. Ce qui signifie que les Réunionnais doivent repasser à la caisse. (Voir qui paie l'octroi de mer!!!) Les décisions sont prises à la va vite sans consulter le peuple, à qui on impose de plus, 60 produits de première nécessité choisis par les institutionnels, qui bafouent sans état d'âme les règles de la concurrence en privilégiant certaines marques. Marques qui restent une énigme et une forme de mépris pour la population (le lait Candia Silhouette ou 600 grammes de poulet désossé.) Nous demandons la baisse d'au moins 40% sur tous les produits, pas un panier pour « les pauvres. »  Nous avons assez de ces élus locaux qui se disent qualifiés pour connaître « le pauvre » et apporter des solutions infantilisantes à leurs problèmes. Les temps ont changé, les élus sont déconnectés du peuple. Ils continuent de pleurer sur l'arbre abattu alors qu'une forêt a poussé...


Question 3) les formes d'organisation de cette lutte ? Les transporteurs ont mené une bataille sectorielle pour la baisse du carburant. Devant les pelotons de gendarmerie face aux barrages, leur leader a appelé la population « au secours.. » sur les ondes d'une radio. Bon nombre de Réunionnais y  sont allés par solidarité. Pour être remercié d'une manière un peu cavalière...

Cependant dans chaque ville, les citoyens Réunionnais se sont regroupés (depuis le jeudi 23 février.) La lutte ne fait que commencer, les mouvements de citoyens doivent se protéger de l'avidité de certains politiciens prêts à tout pour récupérer voix et fauteuils. Le COSPAR ? Faut-il en rire ou en pleurer ? Les citoyens ne font plus confiance aux organisations syndicales, aux élus locaux, aux partis politiques, qui se sont fait piquer par un moustique qui les empêchent de tenir leurs promesses.

Question 4) la forme de la lutte est-elle plus violente ?

Les jeunes n'ont plus rien à perdre... La répression à leur égard a été prompt et très sévère.
Les peines ont été « exemplaires », de 6 mois à 2 ans de prison ferme. Au même moment la justice traitait d'une affaire pour favoritisme et détournement de biens par un élu local qui a sa sortie d'audience en a profité pour évoquer la situation à la Réunion et appeler au calme. De qui se moque-t-on dans ce pays ? Plus de 200 renforts ont été  envoyés par les représentants de l'Etat à la Réunion. Nous chiffrerons cette dépense et les 3500 contrats aidés décidés en urgence pour calmer le 'île et son chaudron social.
Les ti goute dolo sont résolument pacifistes. nouvelle vision de la vie économique, basée sur la justice sociale, l'égalité, la répartition des richesses, le bien public.

Question 5) expansion du mouvement aux autres DOM pour atteindre nos objectifs ?
Nous sommes tous des îles sous... France, il est bien sûr nécessaire de savoir ce que disent les tambours antillais, guyanais, mahorais... Quelques sons qui arrivent jusqu'à nous affirment cependant que le système départemental de la « métropole », a atteint ses limites. La structuration économique, politique, sociale et culturelle de nos territoires est à l'ordre du jour.

Question 6 : le slogan d'indépendance se pose-t-il ici et maintenant ?
Bon nombre de Réunionnais ont peur « du largage » de la France, le mot indépendance fait froid dans le dos... «  Regardez Madagascar à 800 km ...ancienne colonie française, l'un des pays les plus pauvres au monde... » Pour l'heure, la question « Pourquoi faut-il larguer la France ?» n'est pas d'actualité.

Question 7 : quel serait un système adapté à l'île ?
Rayer du vocabulaire et de la réalité le mot et le système « métropole » sur l'île. Nous devons arrêter avec les prises de décisions tardives qui laissent brûler nos forêts,  inscrit au patrimoine mondial de l'humanité, en retardant l'arrivée d'un DASH 8 de plusieurs semaines sur l'île sous des prétextes fallacieux. Nous avons assez de promesses électoralistes de ministres en goguette dans nos territoires, certifiant au plus fort de l'épidémie de chikungunya en 2005/2006 qu'un vaccin sera là avant la fin de l'année. Aucun développement n'est durable sur la base de l'exclusion des premiers intéressés : un nouveau statut doit fournir les structures politiques nous permettant de gérer notre pays.
Nous avons hâte de renouer avec l'espoir et l'utopie … nous sommes tous des Grecs.


[1]Mais l’Insee définit « un seuil de pauvreté régional », calculé par rapport aux niveaux de vie à La Réunion. Ce seuil s’élève à 413 euros par mois… Ce qui a l’avantage de ramener la proportion de pauvres à 17% de la population, mais ne cache pas l’augmentation du taux de pauvreté de 2 points en 5 ans, de 2001 à 2006.
[2]Zorèy = terme créole désignant les « métropolitains »
[3]http://www.ccomptes.fr/fr/CC/documents/RPT/Rapport_situation_financiere_DOM.pdf
[4]Les élus aux grandes mains, nous n'en voulons plus.

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