Question 1 : Présentation
Petite
goutte d'eau est un groupe de citoyens de Saint-Pierre, 3ème commune la plus
peuplée (environ 76 000 habitants) au sud de l'île. Depuis plus de trois
semaines, chaque soir des personnes de tous âges, de toutes catégories sociales
se retrouvent. Pourquoi ? Le mot d'ordre est la vie chère, mais c'est
aussi l'occasion de mettre à jour le dysfonctionnement de notre société et le
ras-le-bol général. A travers les prises de parole, les histoires individuelles
ou collectives redisent la même chose : comment survivre dans un
département français avec 425 € de retraite ? Où 52% de la population réunionnaise (400.000
personnes) vit en dessous du seuil de pauvreté national, soit 817 euros
mensuels (contre 13% de la population en France)[1].
« Si la population pauvre rassemble essentiellement des bénéficiaires de
minima sociaux, elle comprend aussi un tiers de personnes en emploi. Les
enfants sont les plus touchés par la pauvreté (144 000).»
Comment continuer à vivre ensemble sur cette île de 2500 km2 lorsque la
violence économique, politique et institutionnelle ravage notre
territoire ? Quel avenir trace-t-on pour nos enfants ?
A côté des
150 000 salariés du public et du privé
que compte l'île, 180 000 Réunionnais sont exclus de la société
(91 250 foyers au RSA, 102 000 chômeurs officiellement recensés sur une
population active de 340 000 ) 60 % des 16-25 ans sont au chômage (les 15-34
ans représentent 30 % de la population totale) 120 000 Réunionnais sont
illettrés ; le suicide est une des
première cause de mortalité entre 15 et 44 ans (21% des décès
chez les 25- 34 ans derrière les accidents, 30%)
En parallèle, si l’île se classe
dans les premiers rangs des départements français à compter le plus grand
nombre de bénéficiaires du RSA (revenu de solidarité active, elle compte plus
de deux milliers de foyers plus riches que riches (assujettis à l'Impôt de
solidarité sur la fortune. )
Une autre catégorie de la
population est privilégiée : les fonctionnaires bénéficient de
l'indexation de vie chère et de diverses primes ( 56% ) sur leur salaire et cette inégalité doit être réduite. La vie
est chère pour tous les réunionnais pas seulement pour les fonctionnaires.
Depuis 3 siècles, La Réunion est
une terre de migrations forcées pour les besoins d'un marché solvable en
Europe. Le peuplement s'est constitué par des immigrations successives de populations
venues d'Afrique, de Madagascar, de l'Inde, de la Chine de l'Europe qui
ont appris à vivre ensemble. La
créolisation a permis de tisser une culture commune, des valeurs partagées, une
langue, une façon d'être au monde. Aujourd'hui l'île doit faire face à une
immigration « métropolitaine » en augmentation et voit sa structure démographique
modifiée en profondeur à cause de ces migrations, qui interagissent avec
l'activité économique. Sur une période de
30 ans 80 000 zorèy[2] se sont installés durablement, pendant que
sur la même période 200 000 Réunionnais ont quitté leur île .120 000
Réunionnais exilés. Solde migratoire négatif.
Paris et les dirigeants locaux ne cessent de
lancer aux jeunes Réunionnais des « Vive la mobilité » «
Engagez-vous » « Partez au Québec, en Europe, ... Vous êtes trop
nombreux sur cette île, le chômage vous guette ». Mais nous savons qu'ils
mentent.
Les zorèy sont plus diplômés et
le taux d'emploi est élevé : 76% des zorèy de 20 à 59 ans sont sur le marché de
l'emploi, contre 59,2% de l'ensemble de la population. . Ces travailleurs zorèy
sont "surreprésentés parmi les cadres, professions intermédiaires,
commerçants et chefs d'entreprise". Ils sont par contre "sous-représentés
parmi les agriculteurs, les ouvriers et les employés. Ils ont plus
facilement accès à la propriété vu le prix du foncier et aiment bien se
regrouper sur le littoral ensoleillé en
«zorèyland.» Bon nombre sont de passage et s'acceptent comme privilégiés,
confirmant en cercle « l'assistanat, la paresse, tellement méprisable des
créoles ... »
145 000 foyers bénéficient d'un
revenu inférieur au smic. Tous les réunionnais
doivent se rendre dans les mêmes supermarchés pour acheter des produits
55% plus chers que dans la «métropole ». L'île doit importer et exporter à
son principal fournisseur et client « la France métropolitaine » les produits de l’industrie alimentaires (592
millions d’euros) devant l’automobile (467 millions d’euros). « La
métropole » est le principal partenaire commercial de la Réunion à 58%.
Nous ne produisons même pas notre sel, cette marchandise, comme d'autres, effectuent
un voyage de 13 000 km et leur aller-retour doivent être payés. Nous
n'acceptons plus cette politique économique qui relève d'un système colonial.
Les produits importés sont aussi taxés par
l'octroi de mer, vieille taxe coloniale,
droit de douane en pleine
Union Européenne. Cette taxe est censée protéger les productions locales mais
frappe également les biens produits à la Réunion (depuis
1984). Le sucre de nos champs de canne est vendu plus
cher ici qu'en France. Ti goute dolo demande la suppression de cette taxe que
le consommateur réunionnais doit payer en plus des marges abusives de la grande
distribution. Cette taxe sert en fait à financer les collectivités locales mais
« il est impossible
d’apprécier l’efficacité de la stratégie de développement dans laquelle le
dispositif de l’octroi de mer est tenu, selon le législateur, de s’insérer,
afin de contribuer à la promotion de l’industrie locale »[3] et au développement et à l’emploi (FRDE). Cet outil
de gestion et d’analyse de l’effet économique du dispositif n'existe pas. A quoi sert cet impôt
indirect ? Bon nombre d'élus locaux sont régulièrement épinglés par la
Cour des Comptes pour leur mauvaise gestion des finances publiques.Gaspillage.
« Zélu néna gran min, nou la pa bezoin.[4] »
La liste est longue.
Où est la justice dans ce
département français d'outre-mer ? La France, « la métropole » a mis
en place depuis 1946 date de la départementalisation de l''île, un système
d'exploitation de son ancienne colonie où les circuits financiers transforment
l'argent public en profits privés pour quelques grands capitalistes réunionnais
ou métropolitains. Certaines grandes familles se sont enrichis dès l'époque de
l'esclavage et alimentent toujours les rouages de la mondialisation
capitaliste. Ils ne sont plus grands industriels du sucre, mais armateurs, PDG
de Holdings, prospèrent toujours plus grâce à la spéculation foncière, puisque
maîtres depuis 300 ans des terres spoliées à une partie de l'humanité,
considérés alors comme des animaux. A l'abolition de l'esclavage en 1848, les
maîtres devenus des « victimes » ont été indemnisés, ils restent les seuls propriétaires fonciers, et des
capitalistes, propriétaires des moyens de production. Les affranchis n'ont pas
même un lopin de terres pour subsister.
Aujourd'hui
les maîtres du jour se permettent de sanctionner et de priver des milliers de
réunionnais de leur droit à l'emploi, à l'éducation, à la dignité. Il n'est
plus question de femmes et d'hommes capturés par des négriers, mais de leurs descendants
qui doivent payer l'histoire de développement écrite par les
dominants. « Etrange
modernité qui avance à reculons. »
Nous sommes coupés de notre environnement
géographique, l'espace océan Indien : La Réunion a des liens historiques,
culturels, avec Madagascar, les autres îles de l'océan Indien, et la côte est
de l'Afrique. Les relations économiques sont inexistantes. Le développement
durable n'est pas réservé à une partie du monde, le Sud que nous sommes,
conscient de notre passé n'a pas à mendier les miettes de ces preneurs d'otages
qui transforment le monde en marchandise et affame la planète. Les plus grandes unités à pêcher dans l'océan Indien, sont les
thoniers-senneurs-congélateurs européens. L’immense
majorité des captures (97 %) effectuées est le fait de pays non riverains. Nous
retrouvons à La Réunion ces boîtes de conserves de thons dans les supermarchés
des profiteurs et nos voisins sont spoliés : selon le Groupe de travail en haute
mer (HSTF, sigle en anglais) plus de huit cent bateaux de pêche puisent chaque
année dans les eaux somaliennes des fruits de mer et des poissons pour une
valeur globale de 450 millions de dollars. La souveraineté alimentaire est un droit universel des peuples. Dans l'océan Indien, les
grandes puissances envoient leur marine militaire pour y assurer « la sécurité du commerce
international ». A la Réunion, cette présence
militaire s'opère avec l'envoi des forces de gendarmerie pour dissuader
« les mauvaises graines.»
question
2 : l'étincelle qui a mis le feu à la société ? Tout a commencé avec la
protestation des transporteurs qui réclamaient une baisse de 25 cents à la
pompe.
Le
blocage des transporteurs de l'unique site de stockage de carburants, au Port,
le 21 février et l'appel de leur leader à la population pour les rejoindre sur
le site avec comme mot d'ordre la baisse des carburants pour tous et le coût de
la vie, a mis en route les événements. Les tractations de ce même leader avec
le préfet et le volte face opéré par le transporteur levant les barrages et
filant sans plus attendre devant une foule médusée, un peu plus tard dans la
soirée, constituent le détonateur. Les émeutes éclatent à Saint-Denis, au Chaudron, et au Port. Le scénario est connu : revendication
corporatiste, blocage des routes, appel démagogique et au final des violences
urbaines qui mettent à jour la structure inégalitaire de la société
réunionnaise.
Les collectivités devront 90 % du financement de
ces mesures !!! (en abandonnant
leur part d'octroi de mer sur les carburants). Où sont les pétroliers ?
Rien n'est acté au 7 mars, plusieurs maires s'inquiètent
de voir disparaitre une manne financière importante pour le budget de
fonctionnement de leurs communes. Ce qui signifie
que les Réunionnais doivent repasser à la caisse. (Voir qui paie l'octroi de
mer!!!) Les décisions sont prises à la va vite sans consulter le peuple, à qui
on impose de plus, 60 produits de première nécessité choisis par les
institutionnels, qui bafouent sans état d'âme les règles de la concurrence en
privilégiant certaines marques. Marques qui restent une énigme et une forme de
mépris pour la population (le lait Candia Silhouette ou 600 grammes de poulet
désossé.) Nous demandons la baisse d'au moins 40% sur tous les produits, pas un
panier pour « les pauvres. »
Nous avons assez de ces élus locaux qui se disent qualifiés pour
connaître « le pauvre » et apporter des solutions infantilisantes à
leurs problèmes. Les temps ont changé, les élus sont déconnectés du peuple. Ils
continuent de pleurer sur l'arbre abattu alors qu'une forêt a poussé...
Question
3) les formes d'organisation de cette lutte ?
Les transporteurs ont mené une bataille sectorielle pour la baisse du
carburant. Devant les pelotons de gendarmerie face aux barrages, leur leader a
appelé la population « au secours.. » sur les ondes d'une radio. Bon
nombre de Réunionnais y sont allés par
solidarité. Pour être remercié d'une manière un peu cavalière...
Cependant
dans chaque ville, les citoyens Réunionnais se sont regroupés (depuis le jeudi
23 février.) La lutte ne fait que commencer, les mouvements de citoyens doivent
se protéger de l'avidité de certains politiciens prêts à tout pour récupérer
voix et fauteuils. Le COSPAR ? Faut-il en rire ou en pleurer ? Les
citoyens ne font plus confiance aux organisations syndicales, aux élus locaux,
aux partis politiques, qui se sont fait piquer par un moustique qui les
empêchent de tenir leurs promesses.
Question
4) la forme de la lutte est-elle plus violente ?
Les
jeunes n'ont plus rien à perdre... La répression à leur égard a été prompt et très
sévère.
Les
peines ont été « exemplaires », de 6 mois à 2 ans de prison ferme. Au
même moment la justice traitait d'une affaire pour favoritisme et détournement
de biens par un élu local qui a sa sortie d'audience en a profité pour évoquer
la situation à la Réunion et appeler au calme. De qui se moque-t-on dans ce
pays ? Plus de 200 renforts ont été envoyés par les représentants de
l'Etat à la Réunion. Nous chiffrerons cette dépense et les 3500 contrats aidés
décidés en urgence pour calmer le 'île et son chaudron social.
Les
ti goute dolo sont résolument pacifistes. nouvelle vision de la vie économique,
basée sur la justice sociale, l'égalité, la répartition des richesses, le bien
public.
Question
5) expansion du mouvement aux autres DOM pour atteindre nos objectifs ?
Nous
sommes tous des îles sous... France, il est bien sûr nécessaire de savoir ce
que disent les tambours antillais, guyanais, mahorais... Quelques sons qui
arrivent jusqu'à nous affirment cependant que le système départemental de la
« métropole », a atteint ses limites. La structuration économique,
politique, sociale et culturelle de nos territoires est à l'ordre du jour.
Question
6 : le slogan d'indépendance se pose-t-il ici et maintenant ?
Bon
nombre de Réunionnais ont peur « du largage » de la France, le mot
indépendance fait froid dans le dos... « Regardez Madagascar à 800 km
...ancienne colonie française, l'un des pays les plus pauvres au
monde... » Pour l'heure, la question « Pourquoi faut-il larguer la
France ?» n'est pas d'actualité.
Question
7 : quel serait un système adapté à l'île ?
Rayer
du vocabulaire et de la réalité le mot et le système « métropole »
sur l'île. Nous devons arrêter avec les prises de décisions tardives qui
laissent brûler nos forêts, inscrit au
patrimoine mondial de l'humanité, en retardant l'arrivée d'un DASH 8 de
plusieurs semaines sur l'île sous des prétextes fallacieux. Nous avons assez de
promesses électoralistes de ministres en goguette dans nos territoires,
certifiant au plus fort de l'épidémie de chikungunya en 2005/2006 qu'un vaccin
sera là avant la fin de l'année. Aucun développement n'est durable sur la base
de l'exclusion des premiers intéressés : un nouveau statut doit fournir
les structures politiques nous permettant de gérer notre pays.
Nous
avons hâte de renouer avec l'espoir et l'utopie … nous sommes tous des Grecs.
[1]Mais l’Insee définit « un seuil de
pauvreté régional », calculé par rapport aux niveaux de vie à La Réunion. Ce
seuil s’élève à 413 euros par mois… Ce qui a l’avantage de ramener la
proportion de pauvres à 17% de la population, mais ne cache pas l’augmentation
du taux de pauvreté de 2 points en 5 ans, de 2001 à 2006.
[2]Zorèy
= terme créole désignant les « métropolitains »
[3]http://www.ccomptes.fr/fr/CC/documents/RPT/Rapport_situation_financiere_DOM.pdf
[4]Les
élus aux grandes mains, nous n'en voulons plus.
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