En lien avec la grève des fontainiers de Paris, voici un article très intéressant publié sur le blog Social Nec Mergitur.
L’historique d’un scandale
sanitaire connu depuis maintenant trois ans
A la Mairie de Paris, l’entre-deux tour n’est pas seulement
compliqué sur le plan politique
il l’est également, semble-t-il, sur le front social et sanitaire
puisque les employés d’Eau de Paris entament leur deuxième semaine de
grève, un mouvement suivi à 80%. Les salariés mènent ce
mouvement pour défendre leur santé et les risques qu'ils encourent à
être exposés à l'amiante lors que ceux-ci interviennent sur les
canalisations d’eau potable installées dans les égouts
parisiens (lire ici).
Bien que restant sourde à leurs revendications la municipalité
semble surtout énervée par ce
mouvement. Au point de faire entourer les manifestants qui viennent
défiler sous les fenêtres de l’Hôtel de Ville par des forces de police,
lesquelles pour intervenir sont ….obligées de
bloquer la rue de Rivoli provoquant un embouteillage monstre. Une
situation des plus mergitur….
« Amiante, la Mairie savait » clame l’intersyndicale CGT,
CFDT, CFTC. Elle sait
même depuis au moins trois ans nous explique Claude Danglot, médecin
et chargé de recherche au laboratoire du contrôle des eaux de le Ville
de Paris entre 1973 et 2005. C'est aussi en tant
qu'expert amiante qu'il est intervenu avec le cabinet Aliavox,
chargé d’une étude sur le sujet, pour le compte du CHSCT des égouts de
la capitale. Voici l’historique d’un scandale sanitaire connu
depuis trois ans désormais par la Mairie de Paris. Parole d'expert.
De l’amiante dans les égouts de
Paris ? L’historique D’une
« découverte »
Par le docteur Claude
Danglot.
D’après Monsieur Dely, ancien Directeur de la Direction de la
Propreté et de l’Eau (DPE), de l’amiante a été découverte, en mai 2011,
dans le glutinage protégeant de la corrosion les conduites
d’eau potables installées dans les égouts de Paris. Le glutinage est
un revêtement bitumineux en brai de houille contenant de l’amiante dans
environ 60% des cas (mesuré). Cette technique a été
utilisée entre les années 1949 et 1997, avant d’être abandonnée par
la suite à cause des difficultés de mise en œuvre et de l’interdiction
de l’utilisation de l’amiante (Décret n°96-1132 du 24 décembre 1996).
D’après l’ASTM (American
Society for Testing and Material) son utilisation limiterait la
corrosion dans l’atmosphère très humide des égouts, et serait le
meilleur moyen de protéger la fonte.
Le 19 septembre 2012, Le LEPI (Laboratoire d’Étude des Particules Inhalées) a réalisé des analyses sur
(Laboratoire d’Étude des Particules Inhalées) une conduite de 500 mm recouverte de glutinage.
Le meulage du glutinage par deux opérateurs en deux endroits
différents, au droit du 201 rue d’Alésia a provoqué l’émission d’une
quantité importante de fibres d’amiante (2200 f/L et 6000 f/L) très
largement supérieure à la VLEP (100 f/L).
Les opérations de tronçonnage de la conduite glutinée, menées
par deux opérateurs en deux endroits différents, au droit du 225 rue
d’Alésia, a provoqué l’émission d’une quantité équivalente de fibres
d’amiante (2797 f/L et 2965 f/L), là encore très
largement supérieure à la VLEP. Les prélèvements d’ambiance sur le
trottoir au n°201 et au n° 225 de la rue d’Alésia n’ont pas montré de
contamination significative par les fibres d’amiante
libérées en égout (6 f/L).
Le 15 octobre 2012, Madame Sylvie Catala du MIHS (Mission d’Inspection Hygiène et Sécurité) adressait un
rapport à Madame Véronique
Bédague-Hamilius, Secrétaire Générale de la Ville de Paris, concernant : “Présence
d'amiante et de brai de houille (produits cancérogènes) dans la protection anti corrosion recouvrant les canalisations d'eau” et détaillant le “Cadre
réglementaire applicable en matière de prévention des risques d'exposition à l'amiante des travailleurs”.
Dans sa conclusion elle rappelait : “S'agissant du cas
particulier d'Eau de Paris, il convient de souligner que certains
travaux, comme le remplacement de canalisations, doivent faire l'objet
d'un plan
de retrait d'amiante Ces travaux de retrait doivent être réalises
par des entreprises certifies.
S'agissant des travaux de percement des parois
réalisés par les concessionnaires qui ont
besoin de supports pour installer leurs réseaux, le premier des
principes de prévention : éviter le risque, impose que la réflexion
porte sur des tracés de réseau évitant les zones ou des
projections d'enduit ont été réalisées. L'inspection commune devra
permettre de déterminer ce tracé.”
Le même jour, un additif au risque amiante était émis par la
Section de l’assainissement de Paris (Messieurs Laeuffer et
Desavisse) rappelait le contexte d’utilisation du glutinage et
précisait : “Consigne de
non intervention en égout sur tous matériaux suspects de type produit de revêtement noir.”
“En conséquence et
jusqu’à nouvel ordre à titre conservatoire, il est interdit
d’intervenir sur tous matériaux suspects de type produits noirs de
revêtement de surface, tant sur les éléments d’équipements fixés
dans les ouvrages (conduites, consoles des conduites, etc.…), que
sur les zones des parements des maçonneries recouverts du même produit.”
Le 18 octobre 2012, s’est
tenue une réunion sous la présidence de Monsieur Dely invitant tous les
membres
du CHS du STEA faisant le point sur l’amiante détectée en égout.
Cette réunion a débouché sur des instructions de précaution qui ont été
données aux personnels le vendredi dernier 12 octobre 2012,
à titre conservatoire et en lien étroit avec Eau de Paris et la MIHS de
la DRH. Les agents de la SAP peuvent circuler en
égout, peuvent travailler comme d’habitude sur les parois dépourvues
de « glutinage », mais ne doivent pas intervenir sur les zones murales «
glutinées » tant que des investigations
complémentaires n’ont pas été effectuées. Eau de Paris, de son côté,
doit donner des consignes comparables. Enfin, le STEA alerte les autres
intervenants dans le réseau.
Le 23 octobre 2012, Monsieur Desavisse, chef de la SAP, a diffusé une note de service concernant des
mesures de sécurité exceptionnelles liées à la présence d’amiante en égout et précisant notamment :
“Le produit de
glutinage est un revêtement de couleur noire, de type bitumineux qui
a été utilisé de manière éparse dans Le réseau, entre les années 1949
et 1997 environ, pour protéger Les canalisations de La
corrosion. Ce revêtement contient par endroit, de l'amiante dit
“inerte”, c'est-à-dire qui ne disperse pas de fibres en l'absence
d'interventions agressives…”
“Outre
l'interdiction d'intervenir sur ces revêtements noirs, il vous est
demandé, par précaution, de prendre toutes les dispositions nécessaires
pour que les agents du service, les opérateurs et
prestataires extérieurs n'interviennent pas dans les zones où il y a
eu des travaux sur des canalisations Eau de Paris pendant une durée
d'un mois. Cette mesure vise à prendre en compte
l'éventuel maintien dans l'air d'une concentration de fibres pendant
un certain temps, en l'absence de données fiables sur le temps
d'abattement des fibres.”
“Les tronçons
d'égouts de la liste jointe seront donc consignés pour une durée
d'un mois à compter de la fin des travaux. Cette consignation inclura la
zone de la liste jointe, ainsi que les tronçons d'égout
donnant accès à cette zone en amont et en aval de la zone. Ces
mesures restent applicables tant que les analyses complémentaires
demandées par La SAP et Eau de Paris n'auront pas permis de
quantifier plus précisément le risque.”
Les 11 et 12 décembre 2012,
le LEPI, à la demande d’Eau de Paris, a effectué une étude dans les
égouts de la rue
d’Alésia, entre les numéros 191 et 225, pour quantifier la présence
résiduelle de fibres d’amiante suite à des travaux sur des conduites
d’eau enduites de peinture bitumineuse comportant de
l’amiante chrysotile. Le résultat a montré l’absence de fibres
d’amiante dans l’air de l’égout (< 0,91 f/L).
Le 19 novembre 2012 le
Comité d’Hygiène et de Sécurité spécial du service de l’eau de la
Direction de la
Propreté et de l’Eau, se réunit sous la présidence de Madame
Le Strat. En fin de séance, la Présidente acte la demande des
organisations syndicales d'une expertise extérieure concernant le
risque glutinage. Cette proposition soumise au vote est adoptée à
l’unanimité. Le cabinet Aliavox, agréé par le ministère du travail, est proposé par les organisations syndicales pour effectuer cette expertise.
Le risque « glutinage » Le glutinage est un mélange de brai-de houille (un cancérigène reconnu
par l’INRS) et d’amiante (un autre cancérigène reconnu par l’INRS), c’est une véritable « association
de malfaiteurs ».
A)
Brai-de-Houille C’est un résidu
provenant de la distillation du
pétrole ou de la houille, qui se présente sous forme d'un solide
noir se ramollissant sous l'effet de la température entre 200°C et
400°C. Il est constitué principalement de carbone (80 % en
poids) et d'hydrogène. Le brai peut présenter, suivant son origine,
une structure aliphatique (chaine carbonée linéaires) et/ou une
structure aromatique (chaines carbonées circulaires). Il est
utilisé comme agent d'isolation, comme agent scellant. Dans le
domaine des composites il est utilisé comme résine d’imprégnation ou
comme précurseur des fibres de carbone.
Les pathologies induites par le brai de houille sont différentes selon la
température à laquelle il est exposé :
- Au dessus de
80-100°C, il émet des vapeurs (HAP pour Hydrocarbures Aromatiques Polycycliques) qui
sont
toxiques par inhalation et au contact de la peau et des yeux,
-
A température ambiante, il est essentiellement toxique par contact direct ou direct indirect (gants souillés avec la peau,
Le brai de houille entraîne des pathologies bénignes aigües et chroniques :
- Effets aigus
avec irritation de la peau (sensations de brulure et démangeaisons) et des yeux (blépharite et conjonctivite
souvent associées à une kératite)
- Effets
chroniques avec dépigmentation de la peau par
plages (rare) ou hyperpigmentation touchant les
avant-bras, les poignets, les mains et le scrotum (fréquent),
dermites folliculaires (comédons, acné, kystes sébacés), photophobie.
- Effets
cancérigènes, à long terme, après 15 et 25 ans, il entraîne des pathologies malignes qui sont
:
- “Verrues du brai” avec, à terme, une dégénérescence des lésions en carcinome
épidermoïde.
- Cancers de la peau (cancer épidermoïde)
B)
Amiante L'amiante est un minéral
naturel. Elle se présente sous
forme de filaments peu adhérents entre eux. Ces fibres sont
extraites d'un minéral formé de silicates hydratés de magnésium et de
calcium.
Deux groupes minéralogiques d'amiante, les serpentines et les amphiboles, ont été exploités
industriellement et commercialement:
- Les serpentines ne comportent
qu'une seule variété d'amiante, le chrysotile.
- Les amphiboles comportent quatre
variétés d'amiante, l'anthophyllite, l'amosite, la crocidolite et la trémolite. Seules deux d'entre elles ont été très utilisées : l'amosite et la
crocidolite.
L’amiante chrysotile présente de fibres qui peuvent atteindre un diamètre
de 0,02 à 0,03 µm alors les amphiboles ont des diamètres supérieurs :
crocidolite 0,06 µm à 1,2 µm, amosite 0,15 µm à 1,5 µm et anthophyllites
de 0,25
à 2,5 µm. Les rapports longueur sur diamètre des fibres peuvent atteindre l'ordre de
100 :1. Ces fibres, sous forme libres, sont très légères et sont emportées par le
moindre courant d’air. Après libération dans l’atmosphère elles peuvent y demeurer en suspension plusieurs semaines.
Les pathologies de l'amiante peuvent être pleurales ou pulmonaires, bénignes ou
malignes, mais elles ont en commun plusieurs caractéristiques :
- Un temps de latence important
;
- Une persistance du risque toute la vie
durant ;
- Un risque d'apparition corrélé à la dose cumulée d'amiante inhalé (relation dose-effet)
;
1. Les pathologies bénignes de
l'amiante :
· Les plaques pleurales de la plèvre
pariétale,
· La pleurésie asbestosique bénigne
pour la plèvre pulmonaire, avec une fibrose de la plèvre, comme séquelle.
2. Le cancer broncho-pulmonaire
(CBP)
- C’est une tumeur maligne qui se développe au niveau des petites bronches,
-
II n'existe pas de signes cliniques, radiologiques ou histopathologiques permettant de rattacher avec
certitude un CBP à une exposition professionnelle à l'amiante,
- La mortalité par CBP est plus élevée parmi les travailleurs exposés à l'amiante que parmi
la population générale,
- Le risque de CBP croît de façon linéaire avec l'augmentation de l'exposition cumulée à
l'amiante,
- En France le nombre de décès par CBP attribuables à l'amiante a été estimé à 1200 cas pour
l'année 1996.
3. Le
mésothéliome
- C’est une tumeur maligne qui se développe au niveau de la plèvre,
- Il s'agit d'une tumeur très rare dans les populations non exposées à l'amiante. Son
incidence “spontanée” est évaluée à 1 ou 2 cas annuels par million d'habitants,
- Une exposition à l'amiante est retrouvée chez 60 à 80 % des patients atteints de
mésothéliome,
- Le temps de latence de cette tumeur est très long, 35 à 40 ans en moyenne,
- Les fibres d'amphiboles, en particulier de crocidolite, sont beaucoup plus mésothéliogènes
que les fibres de chrysotile.
- Les manifestations cliniques du mésothéliome les plus fréquentes sont les douleurs
thoraciques, la dyspnée (essoufflement) et l'altération de l'état général,
- Un épanchement pleural est présent dans 80 à 90% des cas, révélé par la radiographie
thoracique,
- Dans les formes évoluées, la tomodensitométrie montre un épaississement circonférentiel
irrégulier, mamelonné, de la plèvre pariétale, associé à une rétraction de l’hémithorax,
- La thoracoscopie représente la technique diagnostique de choix et permet la biopsie,
Le risque en égout. Deux situations forts différentes se rencontrent lors du travail :
1. Le travail direct (meulage, disquage,
sciage, etc.) sur des conduites d’eau
recouvertes de
glutinage. Ces opérations libèrent beaucoup de fibres (jusqu’à 6000
fibres par litre d’air) bien au dessus de la VLE (Valeur Limite
d’Exposition) qui est située à 100 fibres par litres en 2014 et
qui sera abaissée à 10 fibres par litre en 2015. Ces fibres mettent
des semaines voire des mois à se déposer et la simple circulation en
égout après la fin des travaux est
dangereuse.
2. La simple circulation en
égout peut être dangereuse selon les secteurs
visités.
Lorsque le glutinage recouvrant les conduites (ou les parois de
l’égout) est en bon état le risque est très faible et les fibres
d’amiante lorsqu’elles sont présentes le sont à une concentration
« réglementairement sans risque » (mais pas médicalement !!) inférieure à la VLE. Ce risque est bien connu et bien identifié
par les directions de la SAP et d’Eau de Paris qui ont procédé à l’évaluation de ce risque par des mesurages.
Lorsque le glutinage recouvrant les conduites est en mauvais
état, à cause de la corrosion des conduites, la situation est
différente. Au bout d’un grand nombre d’années de la rouille se forme
entre la conduite en acier et son revêtement de glutinage. La
rouille en « gonflant » décolle le glutinage qui tombe en plaque et
en poussière au moindre choc de la tête (traces noires sur le casque) ou
au frottements lorsque les agents passent le
long d’une grosse conduite dans une galerie étroite. Localement les
débris libérés contiennent de la poudre de rouille, des particules de
brai-de-houille et des fibres d’amiante.
Ces situations en égout et correspondent à une libération
locale de fibres d’amiantes vraisemblablement inhalées par les
agents lors de leur circulation. Ce risque constaté sur le terrain n’est
pas clairement identifié par les directions de la SAP et
d’Eau de Paris qui n’ont pas encore procédé à son évaluation.
3. La prévention minimale.
Le risque amiante n’est pas le seul risque encouru par les
personnels circulant en égout : la présence de
gaztoxiques (méthane, oxyde de carbone, hydrogène aux concentrations
supérieures à 10 ppm) et d’une gaz
perturbateur endocrinien (hydrogène sulfuré aux
concentrations inférieures à 1 ppm) peuvent avoir des
conséquences dramatiques sur la santé à court terme
(intoxication aigüe) et à long terme (intoxication
chronique).
Une étude récente effectuée par l’INRS et le Service de
Médecine Préventive de la Mairie de Paris à montré que les égoutiers
avaient une espérance de vie réduite de 7 ans par rapport aux ouvriers
de la Seine Saint-Denis (93)
Un simple masque ventilé (circulation forcée
d’air filtré à l’aide d’une mini-pompe portée à la taille) permettrait
d’éliminer totalement le risque amiante et le risque hydrogène sulfuré.
Son coût
est faible (environ 300 euros par personne) et son intérêt majeur.
D’après les égoutiers ayant testé cet équipement, ce matériel est très
confortable à utiliser. Selon les engagements de la Direction de la SAP, il sera en service à la SAP dès la fin 2014.
La direction d’Eau de Paris n’a pas encore accepté cette idée
et dénie encore, qu’il soit dangereux de circuler dans les égouts
« sans travailler ». Espérons que la longue grève des fontainiers d’Eau
de Paris de la fin mars 2014, ouvrira les yeux
des responsables d’Eau de Paris.
Publié également sur "Miroir Social"
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