Rafle au faciès à Paris: 40 étrangers voués à l'expulsion
Nous reproduisons deux témoignages de la rafle au faciès qui s'est déroulée
dans un quartier de Paris le 6 juin 2013. Une personne qui se trouvait sur les
lieux et l'un des étrangers embarqués racontent.
Jeudi 6 juin dans l'après-midi, une rafle comme on n'en voyait plus depuis
la guerre d'Algérie ou depuis les grandes vagues d'expulsions de squatts au
début des années 1980, a eu lieu à Barbès. Pendant presque deux heures tout un
quartier a été bouclé, les gens ne pouvant plus ni entrer ni sortir, bloqués par
des centaines de flics de toute sorte arrivés à bord de dizaines de véhicules,
quadrillant la zone jusqu'à la Gare du Nord, La Chapelle, Château Rouge et
Anvers (ndlr. Ces.quatre stations de métro délimitent un losange d'un kilomètre
d'est en ouest, un peu moins du sud au nord). A l'intérieur du périmètre qui
comprenait la rue de la Goutte d'Or, la rue des Islettes et une autre rue
parallèle à la rue des Islettes, les flics se déploient. A l'extérieur du
périmètre ils sont apparemment aussi extrêmement nombreux. Divers contrôles
sont effectués : papiers et ventes à la sauvette, hygiène dans les
établissements (d'après ce que disent certains commerçants mais ça je n'ai pas
vu).
Des gens commencent à s'entasser aux différents check points. Protestations
molles, entre résignation et agacement. Très vite, à l'intérieur du quartier
bouclé, beaucoup moins de "vrais gens" que d'habitude et une
multitude de patrouilles de robocops qui interpellent au faciès. Comme souvent,
délit d'extranéité et de classe sociale sont de mise, à savoir que les cibles
principales du contrôle sont les Africains qui ressemblent à des mecs qui
viennent d'arriver du bled.
A chaque fois qu'ils en capturent, les bleus appellent victorieusement leur
central avec leur talkie pour annoncer combien ils en ont attrapé. Puis ils les
ramènent vers des bus d'embarquement sur le boulevard Barbès. Apparemment tout
un staff technique et bureaucratique était installé dans les cars.
A un moment, une vieille dame juive a attrapé un jeune sans papier qui était
capturé et elle a dit que c'était son fils. Les flics voulaient quand même
l'emmener car évidemment ils ne la croyaient pas mais elle criait et
s'accrochait au jeune homme et ils ont finalement du le lâcher.
Quand les flics bouclent un quartier ils sont plus ou moins obligés de
relâcher les barrages qui empêchent de sortir et entrer dans le quartier pour
la sortie de l'école. Du coup ils ont ouvert les barrages à 16h25
Mais attention, ouvrir les barrages et laisser les gens circuler dans le
quartier ne signifie pas que les contrôles vont s'arrêter... Au contraire, et
de fait plein de gens se sont fait attraper comme ça. Voyant que certains flics
en uniforme partaient et que les camionettes de CRS qui barraient les rues se
poussaient, pas mal de personnes, sans doute réfugiées dans des halls, sont
sorties de leur cachette... Mais c'était sans compter avec des groupes de
civils qui par quatre ou cinq ou six sillonnaient le quartier, pour certains
avec des camouflages assez réussis (le rasta, le gars qui ressemble à un sans
papier, la fille déguisée en jeune de quartier), et contrôlaient et arrêtaient
les gens. Les personnes arrêtées étaient alors conduites menottées dans des bus
stationnés à ce moment-là sous le métro au carrefour Barbès. Le dernier bus rempli
est parti vers 16h30.
Dans cette apathie déprimante où on a l'impression que les gens sont menés
à l'abattoir dans la passivité la plus totale, si ce n'est quelques
ronchonnements individuels (Mais on est prisonniers dans notre quartier) ou
désabusés (Ah ici c'est comme ça ils cherchent les cigarettes, les sans
papiers, pff). Ca finit toujours par entrainer des personnes qui n'osaient pas
se lancer pour protester et par se transformer en petit rassemblement, ce qui
permet de discuter de ce qui se passe. Ca met un rapport de solidarité minimal
mais essentiel entre les gens arrêtés et les autres qui y ont échappé.
Plus tard, au rassemblement pour l'assassinat de Clément Méric nous avons
appris qu'une partie des gens emmenés dans les bus avaient été conduits au
commissariat de la rue de Clignancourt, ce qui a provoqué des cris de
« Les fascistes assassinent à Saint Lazare ; le PS rafle à
Barbès ».
Un appel à se rendre au commissariat de la rue de Clignancourt pour 20h30 a
donc circulé. La rue était bloquée à la circulation par plusieurs camionettes
et un bus de la police qui sert à transporter les gens arrêtés dans les manifs.
Les premières personnes arrivées ont constaté que dans ce bus posté juste
devant le commissariat étaient parqués plusieurs sans-papiers. Quelques autres
sortaient libres. Ils nous ont dit que dans le commissariat ils avaient été
triés : certains comme eux pouvaient sortir et d'autres qui allaient être
conduits au centre de rétention administrative (CRA) de Vincennes étaient montés
dans le bus.
Cela faisait plusieurs heures que ces derniers étaient enfermés là sous une
chaleur écrasante, sans pouvoir boire ; manger, aller aux toilettes. Sans
attendre l'heure du rassemblement, des slogans ont commencé à fuser
« Liberté », « Solidarité avec les sans-papiers » auxquels
les dizaines de personnes emprisonnées dans le bus ont répondu chaleureusement
en criant eux aussi et en tapant sur les vitres.
Très vite les flics ont violemment repoussé les quelques personnes
présentes en bas de la rue à grand renfort de coups de tonfas, coups de pieds,
insultes, … Très vite, alors qu'en bas de la rue quelques autres personnes
commençaient à arriver, le bus a démarré, protégé par un grand renfort de flics
dont certains étaient flashball à la main. Nous n'avons pu qu'unir nos slogans
à ceux des gens qui étaient enfermés à l'intérieur.
Le lendemain nous avons su qu'une quarantaine de personnes étaient
enfermées au centre de rétention de Vincennes. D'autres sont peut-être dans
d'autres centres de rétention. Les gens arrêtés devraient passer devant un JLD
mardi ou mercredi s'ils ne sont pas expulsés d'ici là. (ndlr. Le Juge des
Libertés et de la Détention, intervient seulement au cinquième jour de
rétention pour juger de la régularité de la procédure)
***
Témoignage d'un sans papiers arrêté lors de la rafle de Barbès et conduit
au CRA de Vincennes.
Les flics nous ont traités comme des terroristes. Ils nous ont mis des
menottes en plastique. Elles étaient très serrées, on a encore les marques. On
va aller voir le médecin pour faire un certificat.
Ils ont encerclé Barbès et ils contrôlaient « au visage », tous
les Arabes, les Noirs... Ils étaient très méchants et ne respectaient personne.
Ils sont arrivés vers 14 heures et gueulaient après tout le monde dans la rue.
Il y a des gens, ça fait dix ans qu'ils sont ici et ils n'avaient jamais vu ça.
Moi je sortais de chez le coiffeur et c'est un policier en civil qui m'a
arrêté. C'était comme Guatanamo. Ça veut dire quoi ? Parce que on est
arabe, on est des terroristes, ou quoi ? On a risqué notre vie sur un
bateau, on est passé par Lampedusa et ici il n'y a pas de liberté.
On a cru qu'on était en Tunisie. On n'a pas de problème avec les gens ici,
on a un problème avec les flics.
Ensuite ils nous ont amenés au commissariat de Clignancourt, on était 40
dans une cellule et on ne pouvait pas respirer. Et si on protestait, les flics
disaient : « Ferme ta gueule. Pourquoi vous êtes venus ici, Restez
chez vous ! ».
Il y avait aussi un vieux touriste marocain au commissariat, sa famille a
apporté ses papiers et il a été libéré. Quel accueil touristique !
Devant le commissariat il y avait des dames qui n'étaient pas d'accord et
qui criaient « Liberté ! » Et les flics les ont frappées.
On doit être 40-50 de Barbès au CRA. Même en Tunisie la prison c'est pas
comme ça.
Personne ne mange.On a décidé de faire la grève de la faim la semaine
prochaine. La prison c'est mieux parce que là je ne sais ce qui va se passer
demain. Il n'y a pas de solution. Si on passe le Carême [Ramadan] ici on va
brûler le centre.
Centre de rétention de Vincennes, vendredi 7 juin 2013
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